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West Voice

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4 juillet 2007

Emigration clandestine : Le miroir aux alouettes

Par Saliou Samb

Les images insoutenables de Ceuta et Melilla, du nom des enclaves espagnoles en plein continent africain - Eh oui ! - , point de passage de nombreux candidats à l'exil, renforcées par celles des pirogues de clandestins africains exténués, misérables, débarqués par des gardes-côtes occidentaux qui prennent soin de mettre des gants et des masques pour ne pas se souiller, sont les symboles forts d'un des plus grands fléaux de notre temps : l'émigration clandestine.

Le fait le plus choquant dans cette situation terrible est l'énorme mensonge qui entoure les motivations des émigrés et les politiques occidentales en direction de l'Afrique, entretenant pour quelque temps encore le mythe d'une Europe qui a pourtant largement contribué à destructurer les sociétés africaines.

Pour l'Européen moyen - voire l'Européen tout court - et l'Africain adepte de la fuite en avant et des raccourcis simplistes, la raison première qui pousse les jeunes gens à fuir leur pays, leur continent, est la misère. Le fait est indéniable mais derrière cette situation réelle ou supposée, il convient de dénoncer l'attitude démissionnaire de ceux-là mêmes qui doivent entretenir l'espoir sur leur propre continent.

Il serait malhonnête de nier l'évidence de la misère qui sévit sur une bonne partie des États africains, pris en otage par des hordes de prédateurs dont l'opportunisme et l'inconscience se le disputent à l'inculture et à la mauvaise foi. Il serait tout autant illusoire de penser que ces gens qui prennent le temps de monter des histoires à dormir debout pour obtenir ne serait-ce qu'un statut de réfugié en Europe ou aux États-Unis, abandonnant leurs familles, leurs terres et... leur dignité vont arrêter leur manège, comme subitement frappés par leur conscience.

Il serait également naïf de croire que l'Occident, qui ne réchigne point à nous déverser toutes sortes d'experts ou de coopérants, parfois incompétents et arrogants, payés à prix d'or, entraînant dans leur sillage des sociétés, pompeusement appelés multinationales, ne cherchant qu'à piller nos ressources minières, avec des rapports totalement déséquilibrés, engage des actions philanthropiques sur le continent noir.

Combien d'Africains, de bonne foi, entraînés par la seule volonté de renforcer leurs connaissances accadémiques dans un domaine précis, par le désir de faire du commerce, pour des raisons professionnelles, ou tout simplement le souhait d'aller faire du tourisme en Occident, ont dû subir l'humiliation des ambassades, affronter la chaleur de la rue où ils sont parqués comme du bétail, le mépris et le regard d'un personnel "diplomatique" souvent discourtois ?

Ne serait-il pas nécessaire de cerner le problème à la racine, de mettre un terme aux discours teintés de clichés misérabilistes pour trouver une bonne fois pour toutes une solution durable ?

La question de l'émigration clandestine est essentiellement liée à la misère, non pas matérielle comme le fredonnent en choeur ceux qui font de la frime un mode de vie, nous revenant souvent d'Occident avec une voix empruntée et des manières ridicules, mais culturelle.

En réalité, l'élément psychologique qui conduit un homme à refuser de s'engager résolument dans la lutte pour la reconnaissance de ses droits dans son propre pays, pour aller monnayer sa dignité dans un pays où il n'est pas le bienvenu, est lié à une perte d'identité, une absence de repères qui crée en lui un complexe d'infériorité entretenu par la fausse image de l'Occident.

Il ne faut pas se leurrer ; autant les systèmes érigés par la plupart de nos responsables politiques sont dangereux et désespérants pour les individus qui vivent en Afrique, autant l'Europe par une tendance au repli sur elle-même, pollue l'atmosphère politique en Afrique, faisant de l'aide au développement - qu'on serait bien inspiré de supprimer ! - et de la coopération un moyen de chantage.

En fait d'aide, il s'agit tout simplement de retirer par la main gauche - par l'implantation des multinationales - ce que la voisine de droite avait fait semblant de donner. Le tableau est à la limite du baroque !

Le résultat d'une telle tragi-comédie est l'appauvrissement progressive du continent, déjà privé de la partie la plus importante des revenus de ses ressources minières - distribuée à une poignée de patrons européens et à leurs complices africains -, et qui doit affronter dans quelques années l'immigration choisie ou concertée du "très sérieux" Nicholas Sarkozy. Dire que ce dernier n'est pas d'ailleurs le seul à caricaturer l'âme africaine car, partout en Europe et même aux États Unis, les partis ou pseudo groupes de pression conservateurs, voire d'extrême droite font une poussée inquiétante. En somme, on veut de nos ressources minières, à vil prix, on veut bien nous exploiter de manière éhontée sur notre propre continent, mais on ne veut surtout pas de nous en Europe ! Comme le dirait Tarik Ramadan, le penseur Suisse d'origine arabe, "on normalise le discours de l'extrême droite"...

Face à ce constat, il convient pour les Africains de faire une prise de conscience en engageant résolument les batailles indispensables pour opérer les changements nécessaires d'abord en Afrique, et une fois l'outil maîtrisé, renverser le rapport de forces pour enfin entretenir dans la dignité des relations équitables avec le reste du monde.

Dès lors, une question cruciale se pose : sommes-nous trop lâches pour changer notre propre destin sur notre propre continent, le prendre en main et briser définitivement le mythe de l'Occident ?

Le miroir aux alouettes n'a que trop scintillé. L'Occident qui entretient un terrible mensonge sur la vraie histoire du continent noir, là où la Raison est née, continuant à perpétuer des préjugés fallacieux et des a priori ridicules pour maintenir en nous ces entraves culturelles qui nous infantilisent, n'a que faire de nos guerres, de nos dictatures et de nos angoisses. C'est du jus de chaussette pour les Occidentaux !

Comprendre ce mécanisme c'est le début de la responsabilité. L'ignorer, c'est se laisser entraîner dans le cercle vicieux des débats stériles qui ont conduit certains écrivains européens à l'imagination fertile et aux préjugés tenaces à prononcer avec une joie mal dissimulée l'oraison funèbre du continent noir (1).

(1) voir « Négrologie » de Stephen Smith, directeur du desk Afrique du journal Le Monde.

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2 juillet 2007

Notre Khadafi qui est sur terre...

La chronique du moment

« Seule une véritable connaissance du passé peut entretenir la conscience, le sentiment d’une continuité historique, indispensable à la consolidation d’un Etat multinational » (Cheikh Anta Diop, L’Unité culturelle de l’Afrique noire, 1959)

Par Saliou Samb

Le colonel Mouammar El Khadafi, Guide de la révolution libyenne, n’est pas près d’oublier l’accueil exceptionnel que lui ont réservé les populations guinéennes, massées le long de la route Kouremali-Conakry et qui s’est poursuivi jusqu’à Pamelap. Tout au long du parcours, les Guinéens ont répondu avec une ferveur débordante aux moindres gestes de l’homme fort de Tripoli.

Ils étaient des centaines de milliers à chanter, danser, hurler à en perdre la voix pour saluer l’hôte de marque, magnifier son parcours marathon de près de 40 ans à la tête de son pays et, implicitement, appuyer sa toute nouvelle vocation de panafricaniste convaincu. Il y en a même qui ont longtemps espéré que les fines gouttelettes de pluie se transforment en billets de banque sous la baguette magique de celui qui a porté le coup de grâce à la ringarde Organisation de l’unité africaine (OUA).

A Conakry, ville symbole où les Français du général De Gaulle ont été obligés de rassembler à la hâte leurs pénates dans un baluchon après le « Non » de Sékou Touré, Khadafi s’est livré à un véritable réquisitoire contre les Européens à qui il a gentiment demandé de « rester chez eux ». Au passage, l’officier putschiste de la fin des années 60 – le temps passe si vite - a également exhorté avec une verve remarquable ses frères africains à « vivre et mourir en Afrique ». En bon militaire, il n’a pas pris des gants pour flinguer la récente Union africaine (UA) dont il est lui-même l’inspirateur.

Ce discours de Khadafi, prononcé devant des milliers de personnes et relayé par l’une des plus grandes chaînes de télévision au monde (Al Jazeera), n’est pas passé inaperçu. Il marque une nouvelle étape dans la prise de conscience d’un continent en quête d’identité, miné par les ambitions personnelles de ses dirigeants, par un manque total de vision de ces derniers et une perte dramatique de repères chez les populations, accentuée par une grave méconnaissance de leur propre histoire. Ce passé a pourtant été, depuis 1954, exhumé par Cheikh Anta Diop, l’auteur de « Nations nègres et culture ». C’est sur la base de cette histoire commune que Kwame Nkrumah s’est fondé, dès le début des années 50, pour mener son combat qui visait une Afrique unie.

La question, logique, qu’il convient dès lors de poser est celle-là : mais au fait qu’est-ce qui lie les Africains ? Sans une réponse satisfaisante à cette interrogation, sans cette recherche pour retrouver ce que Diop a appelé « le fil conducteur », sans cette « conscience historique », il n’y aura jamais assez de ciment pour fédérer les Etats africains.

Les intentions de Khadafi sont louables, sa vision magnifique, mais ce qui gêne le plus chez un homme aussi controversé que le N°1 libyen, adulé par les uns (essentiellement l’Afrique noire avec sa politique de la main tendue) et détesté par les autres (Les Occidentaux et une bonne partie de la communauté arabe), c’est surtout ce côté mystérieux. Ses plus grands détracteurs parlent aussi de son caractère versatile…

Voilà une personnalité qui gère un pays où l’Islam est la religion d’Etat, où des conflits violents opposant négro-africains et arabo-berbères ont éclaté il n’y a pas longtemps, qui a décidé de prendre son bâton de pèlerin pour prêcher la bonne parole à travers un continent qui compte des musulmans, des chrétiens et des animistes. Voilà un homme qui propose une Afrique verte, aux couleurs de son propre drapeau national, inspirée de la couleur de l’Islam.

Il est dès lors important de s’interroger sur la place que cet homme accorde à ceux qui ne partagent pas sa vision du monde. Des chrétiens, des animistes et même des athées pourront-ils s’exprimer librement dans l’Afrique du leader libyen ? Les rapports entre les communautés noires et arabo-berbères seront-elles débarrassées de tous ces préjugés ridicules, sans aucune justification pour ceux qui connaissent la vraie histoire de l’Afrique noire - qui est loin de se résumer à l’esclavage et la colonisation ! -, pour nous permettre de nous forger ensemble un destin commun ? Qu’allons-nous construire ; une vraie République, une vraie Démocratie (sur le modèle suisse ou américain par exemple et sans esprit de suivisme bien entendu !) ou une Monarchie, fut-elle « éclairée » comme le veulent bien les laudateurs de tout poils, où la voix des peuples comptera dans la réalité des faits pour du beurre ? Que désirons-nous : un pouvoir concentré entre les mains d’un seul individu, Seul Maître à bord après Dieu, un Grand Timonier qui aimera son peuple d’un « amour tyrannique » ? Ces questions sont fondamentales pour juger de l’applicabilité des nouvelles idées si chères au Guide de la révolution libyenne.

Vouloir faire l’impasse sur de réelles entraves culturelles ne contribuera guère à faire avancer le débat sur la nécessité vitale de construire les Etats-Unis d’Afrique, la voie incontournable pour nous permettre de reprendre notre destin en main, de peser sur les grandes décisions engageant nos vies d’humains, d’avoir enfin une chance de sortir des abysses de la pauvreté, du sous-développement et du misérabilisme.

Jusque-là, on a toujours fait preuve à l’égard des Africains d’un paternalisme navrant en appliquant paradoxalement à leurs Etats des remèdes de cheval rappelant l’amour de la corde pour le pendu.

Avec son idée de gouvernement fédéral, « Notre Khadafi qui est sur terre » a tout à fait raison de provoquer l’incident qui pourrait conduire nos petits chefs à prendre la décision historique de se mettre ensemble, couper court aux inutiles et onéreuses rencontres sous-tendues par aucune volonté politique réelle. Ces désespérantes mises en scène ont duré plus de 40 ans…

Ce serait déjà un grand service rendu à l’Afrique et aux Africains dont les consciences ne semblent pas du tout troublées par ces images lamentables de leurs frères, candidats à l’immigration, accrochés comme de vulgaires poissons à des filets de pêche. Mais, disons-le tout net, il faudra plus pour que le nom du Guide soit « sanctifié »…

Car une Afrique forte et libre passera nécessairement par l’acceptation, sans exclusive, de toutes les exigences de la démocratie. Et celles-là se nomment justice indépendante, élections libres, égalité totale de tous les citoyens quel que soit leur rang social, défense des minorités, liberté d’expression et donc presse indépendante, etc.

Ce sera le prix à exiger pour tous ceux qui vont accepter le transfert au futur Etat fédéral d’une bonne partie de la souveraineté de leur pays. Et la note, tous les chefs d’Etat qui gèrent leur pays comme Khadafi devront se résoudre à la payer.

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  • Traiter de l'actualité guinéenne, voire africaine, n'est pas chose aisée. L'analyse brute des informations pourrait fausser les données si on n'y prend garde. Cette chronique périodique proposée par un journaliste a pour but d'aider à leur décrytage.
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